Les conditions
sanitaires de nos aïeux
Avec la peste, le choléra forme le couple
épidémique exemplaire.
Le choléra a engendré un nombre de victime
beaucoup moins effrayant que la peste, mais il conserve une grande place
dans l'esprit des populations. Cela semble dû à la fois à la proximité des
épidémies européennes du 19ème siècle et à la connaissance de sa présence
endémique au-delà de nos frontières méridionales. Sept pandémiques de
choléra se succéderont de 1817 à nos jours.
Au cours de la décennie 1990 des cas de peste
humaine, certes limités, ont été signalés à diverses reprises dans
plusieurs pays de l'ex-Union soviétique. En 2003, plusieurs cas de peste
ont été constatés en Algérie, à Oran.
La peste, que l'on pourrait situer au
Moyen-âge, n'a donc pas disparu, et avec le choléra, fait toujours partie
des maladies soumises à une réglementation internationale.
Les personnels de santé au cours des
siècles passés
Chacun sait qu'Ambroise PARÉ (1509-1590),
reconnu comme "Père de la chirurgie moderne", a évolué dans la fonction de
barbier, pour devenir le chirurgien de Henri II, puis de François II,
Charles IX et Henri III.
Au 17ème siècle dans la plupart des localités
de la région on note la présence d'un chirurgien ou maitre-chirurgien. Par
exemple à Lavannes (Marne) en 1674, il s'agit de Nicaise GERBAIS. Ce doit
être alors l'équivalent de notre médecin actuel. Il existe aussi une
sage-femme "instruicte" ou non pour 2 ou 3 localités. Le
qualificatif "instruicte" est tiré d'un compte-rendu des diverses
inspections épiscopales, il signifie plus particulièrement que la
sage-femme sait baptiser les nouveaux-nés en cas d'urgence.
La lecture de certains passages du Malade
Imaginaire de Molière (1673), ne doit pas être sans rapport avec la
réalité du moment :
" - Que faire mon frère quand on est malade ?
- Rien mon frère... Il ne faut que
demeurer au repos. La Nature, d'elle-même, quand nous la laissons faire,
se tire doucement du désordre où elle est tombée. C'est notre inquiétude,
c'est notre impatience qui gâtent tout ; et presque tous les hommes
meurent de leur remèdes, et non pas de leurs maladies. "
A partir des années 1720, on remarque que les
villageois vont de plus en plus se faire soigner et aussi mourir à l'Hôtel-Dieu
de la ville de Reims. Les chiffres connus sont 1310 malades
hospitalisés et les décès sont de 230 à 250 par an dans cet hôpital qui
était situés sur l'actuel emplacement du Palais de Justice. Les épidémies
et autres conditions défavorables accroissent bien entendu les décès à l'Hôtel-Dieu
en 2 ans.
On reste
perplexe en remarquant que les registres d'archives de l'hôpital
contiennent indistinctement des recettes culinaires et des prescriptions
médicamenteuses.
Ce
qui peut laisser aussi dubitatif, c'est de constater à Heutrégiville
(Marne) en 1743 que Nicolas CARRÉ âgé de 28 ans, est chirurgien et
laboureur. ... Mais... n'est-il pas le descendant du barbier Ambroise PARÉ
?
La peste
Les maladies épidémiques sont fréquentes et
parmi elles, depuis le Moyen-Âge, on connaît bien les symptômes de la
peste. On pense que la contagion est transmise par les puces et les rats.
Les piqûres de puces provoquant l'apparition de plaques noires ou charbons
pesteux.
En 5 ans la
"Grande Peste de 1348" a tué vingt millions de personnes en Europe. On
estimera en définitive que la population européenne a perdu entre le quart
et le tiers de ses membres. Sous le règne de Jean Le BON (1350-1364) on
publie le premier édit sur l'hygiène publique, imposant notamment le
nettoyage des rues en période d'épidémie.
L'horreur de la peste est parfois exploitée.
A Rocroi (Ardennes) en 1643 des pestiférés sont placés devant les entrées
du fort, afin de dissuader, ralentir ou repousser, les attaques de
l'assaillant.
A
Reims et dans la région des épidémies de peste ont lieu en 1635 et 1650.
La propagation des épidémies est générée ou aggravée par la soldatesque
qui laisse derrière elle des campements infects que personne ne veut
nettoyer. En 1668 la peste resurgit avec intensité.
Depuis la "Grande Peste de 1348", l'idée de
la quarantaine est appliquée et en certains endroits connus comme à Selles
(Marne) les malades sont mis à l'écart de la société en un endroit appelé
TERRA ou SERRA. Il leur est porté à manger au bout d'une perche et dans le
sens du vent afin de ne pas être contaminé par leur effluves. Certains
malades, chanceux et résistants, survivent et reprennent leur place dans
la société.
Entre
1720 et 1722, la peste de Marseille tua, 40 000 personnes dans la ville et
100 000 aux environs. Il semble s'agir de la dernière épidémie de peste en
France.
Chez l'homme
la maladie prend trois formes : bubonique, pulmonaire ou septicémique.
L'incubation dure de 1 à 5 jours, avec maux de tête, courbatures et
frissons accompagnés d'une très forte fièvre. Les ganglions infectés
(bubons) enflent et deviennent très douloureux. Le malade vomit beaucoup,
souffre de diarrhées, il est soit prostré, soit surexcité. Dans 20 à 40 %
des cas la maladie s'arrête après 8 à 10 jours, sinon elle atteint le
réseau sanguin, pour devenir septicémique et mortelle en moins de 2 jours.
La peste noire est une forme hémorragique de
la peste bubonique.
Certaines professions payèrent un lourd tribu, soit parce que les matières
qu'elles manipulaient attiraient les rats (boulanger, bouchers), soit par
la fréquence de leur contacts avec les malades (médecins, ecclésiastiques,
fossoyeurs, notaires). En revanche, les forgerons furent plutôt épargnés,
les rats craignant le bruit.
Les médecins appelés chirurgiens se divisent
en deux catégories. Les "contagionnistes", sans connaître le
vecteur de la maladie, pensaient que le contact était suffisant pour
contracter l'infection. Pour les "miasmatiques", la maladie était
due à des particules en suspension dans l'air.
Les deux écoles préconisèrent purges,
potions, saignées, application sur les bubons d'un lapin ou d'un crapaud
ou encore des antidotes préparés à partir de foie de bouc, d'écailles de
poisson ou de peau de serpent. Les miasmatiques, pour éviter d'inhaler des
particules, conseillaient de respirer à travers une éponge imprégnée de
vinaigre.
Toutes ces
pratiques révèlent la peur que suscite la peste mais aussi l'impuissance
d'une médecine balbutiante. Aussi prie-t-on beaucoup saint Antoine, saint
Roch et saint Sébastien, ainsi que la vierge, mais il en fallait plus pour
calmer les angoisses des populations.

|
De nos jours à Reims il
subsiste un monument qui rappelle les grandes pestes. Il est situé Place
COLIN, Chirurgien rémois, 1621-1668. Cette place se trouve immédiatement
à droite après le pont de Vesle en direction de Tinqueux. |
La peste dans la
vallée de la Suippe
Le résultat des recherches effectuées amène à
penser que l'épidémie, qualifiée de peste par plusieurs auteurs régionaux,
semble avoir débuté à Warmeriville en 1693 où l'on compte 29 morts pour les
trois derniers mois. La fréquence des décès est caractéristique de
l'épidémie :
1690 |
1691 |
1692 |
1693 |
1694 |
1695 |
1696 |
1697 |
33 |
- |
21 |
51 |
46 |
22 |
16 |
19 |
On constate également que
les villages d'Isles-sur-Suippe et de Bazancourt ont été épargnés.
A Heutrégiville, nous découvrons 2 morts en
octobre, et aucun en novembre et décembre 1694. A ce moment la fréquence des
décès est habituelle. Par contre, en janvier 1695 le glas sonne à 15
reprises, 10 fois en février, 4 en mars, 1 en mai et se tait enfin de juin à
décembre. L'épidémie est passée !... On remarquera des célébrations de
mariage au plus fort de la maladie. S'agit-il d'optimiste ou de fatalisme ?
La situation redevenue normale, en 1696 on dénombre pour l'année 19
naissances, 2 mariages et seulement 6 décès, alors que l'on vient d'en
compter 5 fois plus pour les seuls 3 premiers mois de l'année précédente.
A Saint-Masmes en 1695, les décès, qui sont
habituellement de 6 à 8 par an, se sont multipliés au point qu'ils
atteignent le nombre de 5 en janvier, 7 en février, 5 en mars, 3 an avril,
un seul décès est constaté en mai et marque la fin de l'hécatombe. Ici comme
ailleurs toutes les catégories de population sont touchées, hommes ou
femmes, enfants ou vieillards.
En cette période la Champagne et la France en
général subissent les effets de deux mauvaises récoltes en 1693 et 1694. Le
setier de seigle (150 litres), base de l'alimentation, payé dans la région 3
livres et 2 sols en moyenne pendant les 10 années précédentes, est vendu 10
livres et 15 sols en 1693 puis 11 livres et 9 sols l'année suivante. La
famine ou la disette et une grave crise économique ont provoqué une grande
misère. Il est évident que les organismes sont affaiblis et sans beaucoup de
défense contre cette épidémie, qualifiée de peste, dont une explication
plausible de la résurgence est la suivante :
" L'église, point central de
l'agglomération, est entourée de son cimetière. Les morts reposent donc au
milieu des vivants. Les morts reposent donc au milieu des vivants. La
décomposition des corps pollue parfois la nappe phréatique dans laquelle
pompent verticalement les puits de la localité. C'est probablement une des
raisons de la réapparition intermittente de ces épidémies qualifiées de
mystérieuses. "
Le
10 mars 1777 un règlement a rendu obligatoire la création de cimetière
hors de l'enceinte des villes, mais rien n'a été stipulé pour les campagnes.
La découverte des microbes n'eut lieu que vers les années 1862-1870 et ce
sera souvent à partir de la seconde partie du 19ème siècle que de nombreux
cimetières villageois seront déménagés, en toute connaissance de cause, hors
de l'agglomération.
Le choléra dans le canton de Bourgogne
Depuis 1822, deux lois fixent l'organisation
des services sanitaires français. Dés novembre 1830 la "Gazette médicale"
porte à la connaissance des praticiens les principaux symptômes de cette
maladie, ainsi que les soins à apporter. En 1832 une pandémie de choléra
touche de nombreuses régions françaises. Le Président du Conseil, Casimir
PERIER, n'est pas épargné et meurt après avoir visité les hôpitaux.
En 1832, les morts imputés au choléra sont de
2.885 dans l'arrondissement de Reims dont 170 dans le canton de Bourgogne.
Les communes d'Heutrégiville, Pomacle et Berméricourt sont les seules
localités du canton où il n'y a eu aucun cas. Les maires avaient pris des
arrêtés concernant des mesures d'hygiène qui furent observés.
A Bazancourt, les habitants sont soignés par le
Docteur URBAN d'Isles-sur-Suippe. Homme plein de bon sens, il déconseille
d'absorber l'eau des puits qui a été plus ou moins polluée et préconise d
boire l'eau de source pure de la "Fontaine Pignolet". Cette recommandation,
jointe aux mesures d'hygiène et aux médications, limite de beaucoup les
dégâts.
Vers la fin
des années 1850, au moment où l'on parle des apparitions de Lourdes, le curé
de Bazancourt, que l'on peut croire un soupçon mystique, entreprend un
voyage dans les Pyrénées et rapporte des quartiers de roche pour édifier un
monument à la Vierge au dessus de la source. L'action du curé, le temps et
l'imaginaire populaire aidant, des processions annuelles de remerciement
sont organisées et perdureront jusqu'au début du 20ème siècle.
A Bazancourt, le monument à la Vierge est
toujours visible au bout de la rue Anatole France, quant à la sépulture du
Docteur François Théodore URBAN, elle se trouve au cimetière d'Isles-sur-Suippe,
dans l'allée centrale, à gauche en entrant.
Après plusieurs réapparitions, notamment en
1854, les épidémies de choléra abandonnèrent la France à la fin du 19ème
siècle et les quelques dizaines de cas constatés depuis lors sont uniquement
liés au tourisme et à l'immigration.